« Tu verras quand tu en auras ! »

Ce matin, je dois bien reconnaitre que j’ai eu du mal. Comme chaque année. Cette douleur qui s’invite dans ma boite crânienne (qui plus est, un lendemain de 9-0 à Sclessin)  quand je vois les photos de la rentrée de (99%) mes contacts sur Facebook et Instagram. Alors j’ai tout coupé. En fait, comme chaque premier septembre, je n’avais pas envie de voir des cartables Spiderman et des chaussettes blanches enfermées dans des docksides. Je peux comprendre le trip hein, j’ai rien contre. Mais je ne veux pas participer. Et ce n’est pas parce que je suis jaloux. Promis.

« On en reparlera quand tu auras des enfants ! ». Ok, on en reparlera. En attendant, je n’en ai pas. Mais là, aujourd’hui, quand je tombe sur ces photos, je ne fais que me souvenir de ma rentrée en première primaire: TRAUMATISME COMPLET ! C’était horrible. Je venais de passer deux mois à faire des cabanes, rouler à vélo, manger chez des copains, aller à Planckendael (que je préferais largement à Bokrijk). A cet âge-là, je passais une grande partie de mon été à la mer du nord. Je faisais des chateaux de sable jusque quand la marrée montait pour le faire disparaitre (mais le mien résistait toujours plus longtemps que les autres), avec ma grande soeur, on léchait des kilos de boules de glace Moka de chez Verdonck, on regardait des feux d’artifice dans les bras de notre papa, on refaisait mille fois par jour un noeud dans l’élastique du jokari qu’on cassait tellement on frappait comme des brutes. On se faisait des potes et on vendait des coquillages sur la digue. On s’échangeait nos adrsses postales pour s’envoyer des dessins et des lettres quand on aura appris à écrire.

Je fabriquais aussi, sans le savoir, minutieusement ma première carie avec une babelute jaune, verte et rose (peut-être que je me trompe au niveau des couleurs, je suis daltonien) achetée dans le plus grand secret chez Oma’s Babelutte. Souvent, on allait au Méli ! On avait le pass pour le parking. Dans le parc, on mangeait des bonbons au miel. Ca collait aux dents. Mais c’était bon pour la santé, enfin je crois. Ce que je préférais, c’était l’Apirhama. De temps en temps, c’était un des mes moments préférés, on allait, mon papa et moi, regarder des matchs de tennis juste à côte du casino.

J’avais 5 ans (et demi, la précision est importante). La seule chose à laquelle je pensais avant de m’endormir, c’était à la manière de négocier, avec ma maman, une troisième salve de cuistax sur la semaine.

Alors franchement, le 31 août arrivé, comment envisager une seule seconde la possibilité de fermer l’oeil de la nuit ? Après 62 jours de saveurs intenses. Comment pouvait-on essayer de me faire croire que m’asseoir 8h par jour dans une pièce avec 20 kets, que je ne connais pas, allait être sympa ? L’idée de se retrouver dans un rang. De tenir sa distance grâce à un bras tendu sur l’épaule de celui qui est devant. Je dis « celui » parce que je n’avais pas de fille dans mon école. 12 rangs, deux classes par niveau. De sentir la froideur des couloirs et des carrelages noir et blanc moucheté. De passer le midi dans une cantine qui sent la soupe. De ne pas pouvoir aller jouer dehors parce que le premier septembre, il pleut toujours au moins un peu. De manger un penny à moitié écrasé et un peu mou parce que même si il pleut, il fait douffe quand même. Une seule chose me sauvait légèrement de mon état de cafard avancé: mon institutrice connaisait un peu mes parents. Je sais pas pourquoi, ça m’avait rassuré.

Alors voilà, quand je vois ces enfants sur les photos aujourd’hui, bien peignés (j’avais trop besoin de le placer ce mot-là), sourire OBLIGATOIRE, cartable flambant neuf !  Pour moi, il y a un truc qui sonne faux. A l’époque, c’est vrai, on était déjà habillé comme ça (on avait été faire les courses chez Batta et Rodriguez), mais on ne faisait pas de photos, du moins pas chez moi. On n’était pas obligé de sourire devant l’objectif alors qu’on était en fait complètement pétrifié. Heureusment. Je crois que je n’y serais pas arrivé.

Adrien Devyver
Adrien Devyver